samedi 17 avril 2010

Jésus de Nadau à l’Olympia

   Le groupe occitan Nadau s’apprête à monter pour la troisième fois sur la scène de l’Olympia, la fameuse salle parisienne reconstruite à l’identique, qui de temps à autre, pour faire entrer un peu d’argent dans la caisse, loue ses planches à des baladins provinciaux en mal de vedettariat, à cette condition toutefois que ces derniers s’engagent à organiser eux-mêmes l’acheminement de leur public vers la capitale en bus ou en train, avec la complicité d’élus démagogues. Pour ne pas nuire à l’image de marque de l’Olympia, la communication reste discrète. L’affiche du groupe Nadau est donc absente du site Internet du célèbre music-hall, contrairement à celles de tous les artistes invités.
   Il me semble qu’il faudrait scénariser ce non-événement.
   Comment en sommes-nous arrivés là ?
   Au début des années 90, alors qu’il chantait confidentiellement depuis des lustres, Joan de Nadau a commencé à cogiter. Comme il est bon en calcul, il s’est aperçu que s’il arrivait à racoler quatre cents personnes pour les caser sur scène, il remplirait aisément le Zénith de Pau avec les familles et les voisins. Dès lors, le pli était pris. Joan de Nadau s’est constitué porte-parole du petit peuple de nos contrées, qu’il photographie dans ses chansons, soi-disant. Tant de sollicitude n’est peut-être pas totalement désintéressée. Populisme et gros sous faisant souvent bon ménage, le grand reporter Joan de Nadau se garde bien d’expliquer à ceux qu’il caresse dans le sens du poil que les droits d’auteur versés par la Sacem sont proportionnels au prix et au nombre des entrées.
   Et pour attirer les chalands, notre poète ne recule devant rien. Aujourd’hui, il fait tirer des feux d’artifice, comme pour une fête nationale. Demain il fera tirer le canon. Sa mégalomanie sert les nationalistes, qui ont besoin de prouver qu’ils sont une multitude. L’absence de critique musicale occitane permet à ce chantre de la diversité de truster le marché. Dans la pseudo-culture occitane en effet, le port ostentatoire de signes idéologiques et le militantisme bruyant sont des preuves irréfutables de valeur artistique. Aussi est-il impensable de critiquer la musique de patronage d’un groupe bardé de croix occitanes, qui sponsorise les écoles Calandretas. Le rouleau compresseur Nadau avance sur un terrain soigneusement déblayé, purgé des dissidents qu’on a fait taire en les traitant systématiquement de psychotiques pour les exclure. Le groupe emblématique occitan de Gascogne est donc le fruit de la propagande et de son corollaire la censure, une censure habile, occulte, mais décourageante et efficace de tous les auteurs-compositeurs-interprètes d’expression béarnaise et gasconne qui n’ont pas la vocation de devenir les V.R.P. comiques de l’occitanisme.
   Car Joan de Nadau est très farceur. Dès qu’il est en représentation, il exagère son accent gascon. En concert, il prend un air inspiré pour débiter des platitudes. Quand on l’interviewe, il bafouille comme un débutant submergé par l’émotion. Il a du mérite. Mettons-nous à sa place : prisonnier du personnage bon enfant qu’il s’est créé de toutes pièces, il est contraint de s’en tenir aux lieux communs, sous peine de provoquer une épidémie de méningite chez les braves gens un peu simples et les occitanistes intellectuellement limités qui boivent ses paroles. Interrogé sur France 3 Pau Sud-Aquitaine à propos du bouquin que venaient de lui consacrer deux hagiographes, il a trouvé le moyen de déclarer que c’était « comme si ces trente-trois ans de chansons prenaient un sens tout d’un coup », ce qui revenait à avouer qu’auparavant tout ce remue-ménage n’en avait guère. Comment parler avec pertinence quand on porte un masque ingénu, c’est le problème insoluble que ce prof de maths aujourd’hui à la retraite s’acharne à résoudre inlassablement pour nous distraire.
   Mais les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures et celles de Joan de Nadau, interminables et ressassées, sont usées jusqu’à la corde. La venue d’un orchestre de chambre ne suffira pas, j’en ai peur, à renverser la vapeur, la virtuosité des instrumentistes n’ayant réussi jusqu’à présent qu’à faire ressortir l’affligeante banalité des compositions du leader à béret inamovible. Car plus consensuel, tu meurs ! « Même pas mal », nous rassure à ce sujet, en français de cours de récréation dans le texte, le refrain d’une de ses chansons.
   Je propose donc une mise en scène exceptionnelle, à la mesure de la haute idée que l’intéressé a visiblement de lui-même.
   On sait que les cochonnailles jouent un rôle déterminant dans le conditionnement des supporters de Nadau, qui auront fait ripaille pendant le voyage. Pour marquer les esprits embrumés par les vapeurs du madiran, il est indispensable d’introduire un peu de spiritualité dans le déroulement de la soirée. Or quoi de plus spirituel que le mystère de la nativité, cette grande fête à laquelle le nom même de Nadau, Noël en gascon, est une invitation ? D’ailleurs, le précédent album ne s’appelait-il pas Saumon ? Saumon de Noël, le cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année, il fallait y penser. C’est qu’il en a sous le couvre-chef notre artiste officiel du parti ! Et plus récemment, la Vierge Marie elle-même n’est-elle pas devenue la protectrice attitrée du groupe, à la faveur d’un cantique s’achevant par les mots « Maria de Nadau », cantique composé par le même Joan de Nadau décidément de plus en plus subtil ?
   À peu de frais, il est possible de transformer rapidement la scène de l’Olympia en crèche vivante. Il suffira de déposer une botte de paille au milieu du plateau et d’y installer notre Messie dans le plus simple appareil, une serviette de bain entortillée autour des hanches en guise de langes. Bien emballée dans un vieux drap de coton teint en bleu ciel, l’ensorcelante Ninon Paloumet campera à coup sûr une Vierge Marie plausible. Les musiciens, soigneusement grimés grâce à des accessoires qu’on aura dénichés dans n’importe quel magasin de farces et attrapes, se répartiront les rôles pour incarner qui Joseph, qui le bœuf, qui l’âne gris, qui les anges descendus des cintres à l’aide de poulies actionnées par les machinistes. Quant à Gaspard, Melchior et Balthazar, les Rois mages accourus pour adorer notre Sauveur, on aura pris soin de demander à Bayrou, Lassalle et Ricarrère d’apporter leurs robes de chambre à l’Olympia. Ils iront discrètement les revêtir dans les coulisses, juste avant de faire leur entrée en scène les bras chargés de subventions, coiffés de couronnes en carton doré récupérées lors de leurs dernières dégustations de galettes à la frangipane, et l’illusion sera parfaite. L’enfant Jésus saisira alors son accordéon diatonique, ouvrira la bouche… Ô miracle ! La mélodie enchanteresse de L’Imortèla, ce chef-d’œuvre impérissable de la liturgie occitaniste, cette sublime illustration du style pompier dans ce qu’il a de plus pur et de plus authentique, s’élèvera dans un silence recueilli, avant d’être reprise en chœur et avec entrain par l’assemblée des fidèles. Les cloches de Notre-Dame de Paris sonneront à toute volée pour signaler la chose. Benoît XVI, alerté, donnera à tout hasard sa bénédiction du haut du balcon de la basilique Saint-Pierre de Rome. Et comme la grand-messe de l’Olympia sera retransmise en direct sur toutes les chaînes de toutes les télévisions du monde entier, Céline Dion, scotchée devant son écran par le talent inouï, le phrasé incomparable, le swing irrésistible du divin enfant, s’exclamera :
   « Tabernacle ! Ce type est trop fort, il faut absolument que j’enregistre un album en duo avec lui.
   — A star is born ! » confirmera René, qui s’y connaît.
   Et dès le lendemain, notre héros s’envolera pour Las Vegas et ce sera enfin le début de la carrière internationale dont Joan de Nadau, devenu John of Christmas pour les besoins du showbiz, a tant rêvé dans le secret de son coeur. Merci qui ?

   Marilis Orionaa

3 commentaires:

  1. Quel intérêt pour la défense de notre langue d'écrire des textes en français dont même hara kiri ne voudrait pas ?

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  2. Que soi un Landès e qu'apreni dempuish 4 ans l'occitan gascon a Bordèu; qu'ensaji de la parlar, de l'escríber e de la léger. Qu'ensajam en Gironda de desvolopar los cors de lenga per adultes e las seccions bilinguas dens l'Educacion Nacionau, de har conéisher los libes e las manifestacions culturaus dens la nosta lenga. Qu'ei descobèrt la lenga dab Nadau mei de 20 ans i a...ne compreni pas las rasons d'aqueste òdi, escriut en francès sus un site qui es, benlèu, vadut franchiman?
    Mercès de'm respóner: thierry.cahuzac@free.fr

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  3. Ce qui est triste, c’est qu’il n’y ait pas de groupe depuis 30 ans pour remplacer Nadau. C’est le Alan Stivell du Béarn. Pourtant, des groupes très talentueux aimeraient se produire et être aidés (c’est le cas outre Marilis, du groupe Estar passé récemment sur le 13 h de TF1), mais ils sont victimes de l’ostracisme occitan ; car en effet, dans le microcosme occitaniste, malheur à celui qui dévie du catéchisme officiel. Il est sans ménagement exclus de ces nombreuses manifestations pseudo-culturelles subventionnées à 100% par les collectivités locales, et contrôlées à 100% par l’appareil occitaniste.

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