mardi 29 juin 2010

L’Évangile selon sainte Renée

   Rendons justice aux jeunes gens du forum Occitania, à qui j’avais envoyé mon Jésus de Nadau à l’Olympia. Ils le publièrent, en débattirent et renchérirent sur cette idée toute simple qu’une culture sans critique est une aberration. Sur un autre forum de discussion, la flicaille occitaniste, toujours partante pour un contrôle d’identité, se mit aussitôt à glapir que Marilis Orionaa n’était pas mon vrai nom, un scoop aussi ratatiné qu’éventé, mon état civil figurant depuis belle lurette à la première ligne de la première page de la première rubrique de mon site Internet. La même barbouze versa dans la psychologie de comptoir : je réglais mes comptes avec mon occitaniste de père. Le diagnostic était doublement erronné : mon géniteur est revenu de l’occitanisme et ma satire l’a enthousiasmé. Des internautes me remercièrent de leur dessiller les yeux, d’autres de les égayer. Des croyants furibonds, révulsés par mon ignominie, me sommèrent de faire acte de contrition pour avoir blasphémé le nom du pro-fêtes. Des sectateurs de tout poil volèrent au secours du pauvre petit Joan de Nadau, si fragile, si vulnérable, sauvagement agressé par la cruelle et toute-puissante Marilis Orionaa, laquelle était mue de toute évidence par une jalousie féroce.
   À dire vrai, n’importe quel artiste qui se respecte aurait honte de se propulser à la capitale pour y prêcher des convertis, dans l’indifférence quasi-totale du public parisien et de la presse musicale, et sans le moindre visuel sur le site de la salle louée pour cette opération événementielle d’esbroufe.
   Arnaud Delbarre, le très discret directeur général de l’Olympia depuis que celui-ci n’est plus qu’une filiale lucrative d’Universal, s’est-il offusqué de ce que j’assimilais son Lascaux II à un vulgaire local commercial ? A-t-il souhaité rasséréner un bon client en réparant un oubli fâcheux ? Ayant sympathisé avec ce même client, a-t-il voulu montrer au visiteur épaté jusqu’où pouvait aller le copinage ? Toujours est-il qu’un bon bout de temps après la bataille l’affiche du groupe Nadau fit une apparition inopinée sur le site de l’établissement, légendée d’un tonitruant « L'Olympia remercie Joan et toute l'équipe de Nadau pour le formidable spectacle du samedi 24 avril 2010 », cousu de fil blanc. C’était un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais. Et tout est bien qui finit bien pour Joan de Nadau, dont la carrière artistique repose depuis une vingtaine d’années sur de grossières techniques de marketing, les formules magiques « trois Zéniths », « trois Olympias », agissant comme un sésame sur la mentalité des organisateurs de fêtes patronales plus soucieux de remplir leurs salles polyvalentes que de s’enquérir de la façon dont un prétendu phénomène de société a été entièrement fabriqué. Car l’esprit de Bruno Coquatrix ayant déserté les lieux depuis longtemps, l’Olympia n’est plus qu’un beau décor où à peu près n’importe qui peut se produire aujourd’hui moyennant finances, 21 500 € aux dernières nouvelles.
   Dans les couloirs du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, on s’alarma. Les prouesses quantitatives du groupe Nadau ont toujours été fort appréciées par nos politiques pour des raisons bien compréhensibles, peu d’élus résistant à l’attrait d’un bain de foule procuré grâce aux efforts conjugués du lobby occitaniste et d’une espèce de gourou faussement rustique, habile à flagorner son public. De fervents défenseurs des valeurs de la République manifestèrent une allergie soudaine à la liberté d’expression et exercèrent de discrètes pressions pour faire taire la pamphlétaire. Un compromis fut trouvé : un sas de sécurité permettant d’accéder à mon blog avertit désormais les promeneurs qu’ils s’engagent sur cette voie à leurs risques et périls et qu’il est inutile de venir chercher des noises à l’Institut béarnais et gascon si leurs certitudes volent en éclats à la lecture de la prose de l’irréductible Marilis Orionaa.
   Dans L’Éclair et La République des Pyrénées, dès le lundi qui suivit la teuf, un compte rendu gratiné fut publié par Renée Mourgues, championne du journalisme de proximité et exégète du grand poète pour analphabètes Joan de Nadau. Car ce laborieux rimailleur, qui se contente bien souvent d’aligner des mots déjà chargés de connotations (la terre, la mer, le soleil, la montagne, la pierre, le chemin, la fontaine…), ne peut passer pour un troubadour que grâce à l’ignorance dans laquelle l’occitanisme entretient l’opinion en censurant tout ce qui fait obstacle à son nivellement purificateur.
   S’il y a un homme qui mérite d’être considéré comme le plus grand poète d’expression béarnaise, ce n’est certainement pas Joan de Nadau, comme l’a claironné il y a quelques années François Bayrou, qui joue volontiers les experts alors qu’il peine à soutenir une conversation en béarnais, mais bien plutôt Alexis Arette. Et parce que la littérature est plus grande que la politique, plus grande que la linguistique, plus grande que les affinités des uns et des autres, l’occitaniste socialiste Roger Lapassade lui-même s’inclinait devant l’extraordinaire talent de son adversaire, avec qui il avait fondé le festival de Siros en 1967. Les temps ont changé. En 2010 les militants sont obtus et Alexis Arette est tabou. Si les occitanistes rouvrent le camp de Gurs pour y entasser leurs dissidents, je demande à être enfermée avec Jean Lassalle, qui lui non plus ne cache pas son admiration *. On se récitera des poèmes d’Alexis Arette en attendant des jours meilleurs. Car depuis que leur culture occitane n’est plus que de l’idéologie, une idéologie qui a toutes les caractéristiques d’une religion de substitution, Alexis Arette a de nombreux défauts rédhibitoires aux yeux des bigots et bigotes de confession occitane. Qu’un ex-militant du Front national, farouchement anti-occitaniste de surcroît, puisse être dans le même temps un génial poète béarnais de l’œuvre duquel toute personne qui prétend s’intéresser à la langue autochtone de Béarn et Gascogne à intérêt à se rapprocher pour s’en imprégner, voilà qui dépasse l’entendement pour le Q.I. de nain de jardin de l’occitaniste moyen, ravagé par la lecture hebdomadaire des psaumes de David Grosclaude et qui n’aspire plus qu’à faire ses dévotions à l’ombre de la croix occitane. Aussi la secte des occitanistes du Béarn, s’inspirant de pratiques rodées en U.R.S.S. sous Staline, s’efforce-t-elle d’effacer jusqu’au nom d’Alexis Arette de ses recensements et place-t-elle sur un piédestal celles de ses recrues qui lui paraissent les plus aptes à répandre sa doctrine délétère, tel le médiocre Joan de Nadau, ou encore le burlesque Javaloyès, qui ne rate jamais une occasion de se ridiculiser en se drapant dans sa dignité d’écrivain de langue occitane, pour tenter de faire oublier qu’il est aussi illisible qu’inécoutable par quiconque sait un tant soit peu à quoi ressemblent le béarnais et le gascon lorsqu’ils sont harmonieusement écrits et parlés.
   Quoi qu’il en soit, de l’aveu même des fans qui s’épanchent sur le livre d’or de Nadau, on apprend au milieu d’un invraisemblable déballage de guimauve que le raid fut loin d’être un succès : le concert avait déjà commencé que la moitié de l’auditoire attendait sur le trottoir de passer à la fouille ; il y avait beaucoup de viande soûle dans la salle (ce qui est prévisible quand on fait l’apologie de la féria) ; une bonne partie des spectateurs ont préféré plaisanter bruyamment plutôt que d’écouter Joan de Nadau radoter ses immuables présentations (qu’ils connaissent par cœur de toute façon) ; le malheureux François Bayrou s’est fait copieusement huer (c’est bien fait pour lui) ; les arrangements joués par la fanfare de service étaient un peu lourdingues ; et les vigiles, loin d’être subjugués par cette caricature de liesse populaire du Sud-Ouest, étaient visiblement pressés d’en finir. En revanche, le voyage en train remporte tous les suffrages, et c’est toujours ça.
   Mais sainte Renée de la Proximité ne l’entendit pas de cette oreille. Sitôt que retentirent les premiers accords de la banda landaise, recrutée pour faire comprendre aux plus bornés que toute autre mimique qu’un visage hilare était malséante au début d’un concert de Nadau, l’envoyée spéciale de la presse locale se pénétra une fois de plus de cette idée saugrenue que sa mission ici-bas était de manier l’encensoir pour nous vanter les mérites de la musique occitane de stricte obédience. Avec une conception toute particulière de l’objectivité journalistique, la groupie du crooner du bas Luchon donna donc libre cours à sa félicité, afin d’éclipser mon propre projet de mise en scène sur le thème de l’Épiphanie, où elle aurait pourtant joué avec brio le rôle de la ravie de la crèche. La sainte nitouche de Pyrénées-Presse fit d’ailleurs allusion à ma pochade : Joan de Nadau ne dégoisait pas des « platitudes »,  mais de l’humanité, de l’identité, de l’ouverture, de la modernité… Bref, des poncifs. Et notre béate de se pâmer de plus belle sur l’expérience ébouriffante qu’elle venait de vivre.
   On eut même droit au décompte des victuailles embarquées à bord des trois TGV affrétés pour l’occasion. On sut alors le fin mot de l’affaire. Si Joan de Nadau a renoncé à se distinguer par l’originalité de ses chansons, s’il se complaît dans le conformisme pour être sûr de faire du chiffre, s’il additionne frénétiquement Zéniths, Olympias, trains, spectateurs, DVD, barriques de pinard, canettes de bière, miches de pain, fromegi, charcuterie, et autres conquêtes dont sa fidèle Renée supervise la scrupuleuse comptabilité, c’est dans l’espoir de pouvoir tout au moins entrer un jour en grande pompe dans le Livre Guinness des records.

Marilis Orionaa

* Jean Lassalle, La parole donnée, le cherche midi, 2008, p. 29-30.

4 commentaires:

  1. Bonjour Marilis Orionaa,

    J'ai appris assez récemment que vous aviez tourné le dos à l'occitanisme. On n'a jamais su m'expliquer le fin mot de l'histoire quant aux motivations qui vous ont poussé à cet acte.
    Je suis Limousin plutôt proche de Melhau, Combi etc. Comme j'apprécie nombre de vos chansons, j'aimerais particulièrement comprendre ce qui vous a amené à quitter l'occitanisme et à le vilipender.
    Ma première impression, peut-être erronée, est qu'il s'agirait d'une histoire de "pensée politique".
    Peut-être m'en direz-vous davantage. Merci de votre réponse.

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  2. Per quan textons en biarnés o en gascon sus aquth blòg, en grafia modèrna o pas? N'i auré aumens un qui seré content de los liéger: jo. Bona jornada, dauna!

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  3. Jo que tròbi la Marilis e deuré bloguejar mei sovent. Que siam d'acòrd o non, que se'n fotem, qu'ei tostemps un plaser de la liéger.

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  4. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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