mercredi 27 avril 2011

Sus aux vieux !

   Vous dirigez un mouroir où croupissent des grabataires béarnophones ? Vous connaissez un vieillard, ou une vieillarde, pas trop décatis, qui parlaient gascon avant de parler français ? Donnez leur signalement à l’Ostau Bearnés, la maison de la culture occitane du Béarn. Rendez-vous sera pris. Des responsables vous rendront visite, ce qui mettra un peu d’animation dans votre établissement. Éventuellement, on vous soulagera un moment de vos vieux débris. Ils seront trimballés gracieusement, pour être photographiés en compagnie d’enfants qui apprennent l’occitan, de stagiaires qui se destinent à l’enseignement de l’occitan, de prédicateurs qui œuvrent à l’occitanisation du Béarn. On leur offrira un jus de fruit et des petits gâteaux. Peut-être même des bonbons. Ça leur fera une distraction, puis ils regagneront leurs pénates.
   Tâchez à cette occasion d’éviter les sujets qui fâchent, surtout si des journalistes sont présents pour immortaliser la scène. Il conviendra de sermonner vos vioques à l’avance afin qu’ils s’abstiennent d’évoquer le sujet tabou entre tous, celui de la graphie. Car si vos croulants, comme tous les croulants, n’aiment pas la graphie occitane, la vérité n’est pas toujours bonne à dire. Le but de l’opération, en effet, est de donner l’impression que le nouveau patois se propage en Béarn avec la bénédiction de nos anciens, à qui la pratique du béarnais apporte du « réconfort », comme nous l’explique avec une subtilité jésuitique la lettre d’information de l’Ostau Bearnés, qui vante depuis quelque temps ses grandes manœuvres gérontophiles.
   Sans vouloir offenser les militants qui vont tenir le crachoir à des pensionnaires de maisons de retraite, ou s’efforcent tant bien que mal de pallier les insuffisances des enseignants de Calandreta, il y a beaucoup d’ostentation dans cette tardive sollicitude. À défaut de reconnaître ses erreurs, l’occitanisme s’imagine pouvoir les réparer en faisant la charité à ceux qu’il a floués, en amadouant ceux qu’il a supplantés.
   Il reste que pour le vieux Béarnais moyen, rien n’est plus inconfortable que la graphie occitane, puisqu’elle l’empêche de lire et d’écrire sa langue maternelle et qu’il n’en retire que de la frustration. Malgré de réelles qualités, cette graphie érudite joue depuis une quarantaine d’années un rôle d’accélérateur dans la déperdition de la langue régionale, tout un peuple béarnais et gascon ayant préféré retenir sa langue plutôt que d’avoir à subir une véritable rééducation, infligée par des hordes de fanatiques, dont les plus acharnés sont souvent d’une incompétence crasse dans le maniement de la langue en question.
   L’Ostau Biarnés exhibe de vieilles personnes tout en exultant devant la signalisation en graphie occitane récemment implantée à Pau, sans trop s’embarrasser de scrupules. Le triomphe de l’occitanisme est à ce prix. Cet engouement aussi subit que médiatisé pour le quatrième âge arrive à la rescousse pour fournir aux parents d’élèves et aux politiques des preuves tangibles que les « locuteurs naturels » et les occitanistes marchent la main dans la main, et travaillent de concert à la transmission radieuse d’une langue de plus en plus merveilleuse, même si celle-ci a tellement changé — de nom, de graphie, et parfois même de lexique et de syntaxe, dans un appauvrissement et une déformation consternants — que nos aînés ont bien du mal à s’y retouver.
   Après les enfants, les personnes âgées. L’occitanisme instrumentalise les plus faibles de nos concitoyens, dont il escroque l’assentiment.
   Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pour aller plus loin dans l’entourloupe, je suggère qu’on photographie des ruines en fauteuil roulant (plutôt que des maires ou des militants comme à l’accoutumée) au pied de chaque panneau portant une inscription en graphie occitane, pour montrer à la face du monde que nos doyens approuvent sans réserve le progrès linguistique qui a fait d’eux des empotés dans leur propre commune :
   « Allez pépé ! Vas-y mémé ! Faites-nous un sourire, le petit oiseau va sortir ! »
   Ce sont des bouches inutiles. Autant qu’ils rendent service avant de dégager. Place aux jeunes !

Marilis Orionaa

lundi 17 janvier 2011

Badaboum Patapouf, la réalité de Sèrgi Javaloyès

   Rappelons l’historique. Sèrgi Javaloyès, après de vaines tentatives du côté des littératures catalane, castillane, française, se rabattit sur la littérature occitane, où la critique n’a pas cours. Il remit le brouillon de son premier roman à un quatuor d’occitanistes (par ordre alphabétique : Jacques Lasserre, Jean-Paul Latrubesse, Gilbert Narioo et Maurice Romieu), qui furent chargés de transformer la chose en littérature occitane à peu près crédible. Manque de bol, Marilis Orionaa, la fille du nègre Narioo, aperçut le manuscrit qui traînait sur le bureau de son papa et le feuilleta. Elle fut frappée par l’abondance et l’énormité des fautes qui émaillaient le texte, et par la multiplicité des corrections que les petites mains étaient contraintes d’y apporter. Elle avait beau savoir qu’il s’agissait d’une pratique courante au royaume d’Occitanie, où tout est encore en chantier, elle ne put s’empêcher de s’indigner dans son for intérieur qu’on leurre à ce point le public. Sèrgi Javaloyès fut récompensé par le prix Jean Boudou. Puis il vola de ses propres ailes, avec moins de bonheur, forcément.
   D’ordinaire, les auteurs occitans qui se sont fait arranger la prose évitent de faire les mariolles une fois leur œuvrette publiée, et s’arrangent pour renvoyer l’ascenseur d’une manière ou d’une autre, en mettant telle de leurs compétences au service de la cause. Le savoir-faire de Sèrgi Javaloyès dans le domaine du marketing, sa vraie spécialité, ferait-il avancer le schmilblick ? Hélas ! Il fallut se rendre à l’évidence : Sèrgi Javaloyès ne militait guère que pour la reconnaissance universelle du talent littéraire de Sèrgi Javaloyès. Tant et si bien qu’en 2005 Marilis Orionaa, excédée par ces simulacres de vie littéraire, s’attela à la lecture d’un recueil de nouvelles du grouillant Javaloyès et publia une retentissante chronique de critique littéraire occitane, une grande première. Le roi était nu.
   Jean-Paul Latrubesse et Gilbert Narioo furent ravis (Jacques Lasserre était décédé entre temps). Après quelques remous, Sa Majesté, toujours nue comme un ver, continua stoïquement à se pavaner. Quant à Maurice Romieu, on s’aperçut qu’il avait des talents de prestidigitateur : il venait tout juste de publier une grammaire d’occitan gascon dans laquelle un grand nombre d’exemples sont signés Sèrgi Javaloyès, lequel fait donc désormais autorité, un tour de passe-passe particulièrement réussi.
   Venons-en à l’actualité. Notre écrivain de référence a intitulé sa dernière production Sorrom Borrom (sourroum-bourroum en graphie autochtone), une onomatopée évoquant un bruit de chute. Sous-titre : Le Rêve du Gave. La quatrième de couverture annonce « une geste épique puissante ». Celui qui rêve, manifestement, c’est l’auteur. Il a tellement rêvé qu’il était aussi un grand poète qu’il a fini par prendre son rêve pour la réalité, l’occitanisme favorisant ce genre de confusion fatale.
   On aimerait pouvoir fermer les yeux sur ce nouvel accès de graphorrhée carabinée. Mais la boursouflure du style décourage toute velléité d’indulgence. La cucuterie y atteint des sommets. Même la traduction peine à faire illusion : « écharpe de gloire », « rubis des rayons perdus », « châteaux d’amour », « pluie d’éternité », « ponts de l’éternité », « cloches de cristal », « rayon de nos espoirs », « étoiles du jour glorieux », « sente du vrai retour », « banquet du jour nouveau », « sables de l’incertitude », « trésors de reflets », « pêcheurs d’infini »… y brillent de tout leur clinquant. On descend le cours du gave de Pau, qui sert de prétexte à des digressions vaseuses. Notre Sèrgi, toujours soucieux de montrer qu’il a de l’entregent, profite de cette visite guidée pour égrener les prénoms de quelques-unes de ses relations, notamment occitanistes. Salut, les copains ! Mais il n’a pas une attention pour Jacques, Jean-Paul, Gilbert et Maurice. Quelle ingratitude ! Son « poème épique » porte en épigraphe un court passage de Belina (ou Beline) de Miquèu de Camelat, qu’il n’a pas été capable de recopier correctement puisqu’il a raccourci de trois pieds un alexandrin. La langue versifiée de Camelat était fluide, précise, envoûtante. Le charabia cahoteux de Javaloyès est éprouvant. Mots rares, constructions hasardeuses et tournures alambiquées sont là uniquement pour l’épate, notre plumitif s’exprimant en gascon de façon rudimentaire à l’oral. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le grand Camelat écrivait à la lueur d’une bougie dans une pauvre arrière-boutique. L’insipide Javaloyès a pignon sur rue, et même plusieurs pignons occitans sur plusieurs rues béarnaises, et nous vend sa verroterie avec force boniments. De Miquèu de Camelat à Sèrgi le camelot, grandeur et décadence de la littérature gasconne.
   De cette camelote Joan Francés Tisnèr a tiré un spectacle lucratif, avec bruitages diffusés en « octophonie », du bluff technologique destiné à masquer la vacuité de la prestation. On connaissait la chanson occitane de patronage, un concept fignolé par Joan de Nadau : on fait monter toute une smala d’amateurs sur scène et leurs familles rappliquent pour remplir la salle. Voici venir la poésie occitane de patronage : on rameute quelques comparses chargés d’animer la séance, on invite les élèves de l’école de musique voisine pour être sûr qu’il y ait des djeu’ns, leurs parents tout attendris arrivent en renfort pour faire la claque, et la presse locale souligne l’intérêt du public pour cette démonstration de liquéfaction de la langue béarnaise.
   Pendant ce temps Alexis Arette continue d’écrire des poèmes sublimes qui ne sont pas publiés, nos élus préférant financer l’édition d’une sous-littérature occitane. On se souvient du mythe d’Orphée, le poète qui descend aux enfers pour aller chercher son épouse mordue par un serpent. L’Orphée du Béarn s’appelle Alexis Arette. Il a traversé l’enfer occitaniste pour l’amour de sa langue maternelle. Rien ne lui aura été épargné : lettres anonymes, injures, menaces de mort, car c’est cela aussi l’occitanisme. Et pire que tout, la censure. On cherchera vainement des extraits d’Alexis Arette dans les recueils, anthologies, manuels, dictionnaires et autres ouvrages didactiques publiés par les occitanistes du Béarn. Sa poésie étant le contraire de leur langue de bois, il importait de la faire disparaître. Toute la clique a donc organisé sciemment le boycott du plus grand poète béarnais de tous les temps, le plus profond, le plus fécond. Et si Roger Lapassade était si peu avide de gloire c’est peut-être parce qu’un poète d’une toute autre envergure était relégué dans l’ombre par l’occitanisme. Et qu’on ne me fasse pas le coup de la graphie. Pour peu qu’on le lui demande poliment, Alexis Arette acceptait qu’on le cite en graphie occitane. Mais il est interdit de parler en bien d’un livre d’Alexis Arette : la revue País Gascons a refusé ma chronique consacrée à un ouvrage parfaitement apolitique, recensant les expressions empruntées à l’observation du monde animal et passées dans le langage courant. Dans la revue Reclams, la dernière publication d’un poème d’Alexis Arette remonte, me semble-t-il, à l’an 2000. Qu’il ait été membre du Front National est finalement une aubaine pour les occitanistes, qui dressent contre lui de jeunes militants ignares comme on lâche des pitbulls. Et bien entendu, toute personne qui prend fait et cause pour le poète Alexis Arette est suspectée d’appartenir à l’extrême droite et fait l’objet de ragots colportés par le verdâtre David Grosclaude, qu’on voit venir de loin avec ses gros sabots et ses allusions épaisses à l’idéologie nécessairement noire de tous ceux qui contestent les bienfaits de l’occitanisation. Or quelles que soient les idées politiques d’Alexis Arette, bien malin qui en trouvera le reflet dans sa poésie ! Elle est simplement humaine et bouleversante. Elle nous parle de la vie, de l’amour et de la mort, dans une langue béarnaise riche, souple, et qui a la courtoisie d’être toujours parfaitement compréhensible.
   En réalité Alexis Arette sert de repoussoir. En effet la graphie normalisée, dite classique, sur laquelle repose le dogme occitaniste de la langue unique, a été codifiée par le pharmacien audois Louis Alibert, condamné à la prison pour collaboration à la Libération. Or cette même graphie alibertine de sinistre mémoire est aujourd’hui religieusement enseignée à ces chères têtes blondes des écoles Calandretas. Par conséquent les occitanistes qui ressassent le parcours politique d’Alexis Arette c’est l’hôpital qui se fout de la Charité.
   Au fait, il paraît que François Bayrou trouve notre querelle « bête à pleurer ». Il a contribué à mettre en place une organisation qui pratique la censure et le matraquage, détourne les fonds, manipule les jeunes gens, leur inculque la haine de la France et le mépris de la langue française et leur promet monts et merveilles avec l’avènement d’une Occitanie fantasmagorique. Quand on postule soi-même à la présidence de la République française, c’est vrai que c’est bête et qu’il y a de quoi pleurer. Mais il fallait y penser avant et se préoccuper de savoir à qui profitaient ses largesses.
   Que je sois également victime de cette censure n’a donc rien d’étonnant. L’occitanisme veut des militants, pas des artistes. Je me demande comment Joan Francés Tisnèr parvient à se donner bonne conscience, comment il parvient à faire de beaux discours idéalistes aux enfants du Collège Calandreta où il officie. A-t-il le nez qui s’allonge comme Pinocchio ? J’ai remarqué qu’il portait souvent un grand cache-nez. Car s’il est diffusé sans relâche sur Ràdio País, sa consœur Marilis Orionaa y est persona non grata, une situation d’autant plus aberrante que Joan Francés Tisnèr nous bassine à longueur de journée avec des rengaines folkloriques. Marilis Orionaa écrit et compose chansons et poèmes en béarnais mais on ne l’entend pour ainsi dire jamais. La dame catéchiste Lekuona, véritable dragon de vertu occitaniste, y veille avec un soin jaloux.
   Ràdio País est diffusé sur le site de l’Institut occitan, dont le directeur est précisément Sèrgi Javaloyès, ce drôle de littérateur beaucoup plus doué pour jouer des coudes que pour écrire.
   Renée Mourgues, toujours aussi mystique, tomba en extase sitôt qu’elle eut entre les mains l’épopée du poétereau Javaloyès. Elle s’empressa de l’encenser dans L’Éclair des Pyrénées, avec le vocabulaire éthéré qui était de mise. Mais sainte Renée a beau se shooter à l’encens, ce pompeux Rêve du Gave cache mal la réalité piteuse de son auteur. Du rêve à la réalité, plus dure sera la chute.
  
   Marilis Orionaa